Voici le message de soutien pour cette rentrée du Dr Ada PICARD :
Chers vous,
Chers parents qui vivez cette rentrée en décalage, avec cette boule au ventre, à des kilomètres de l’excitation ambiante. Cette boule, désagréable et insidieuse, que vous vous refilez de mains en mains à la maison, tricotée d’espoir et (surtout) d’appréhensions. Cette année, peut-être, la phobie scolaire disparaîtra. Cette année, peut-être, ce sera différent. Parce que sinon… qu’est-ce qu’on fera ?
L’année dernière, vous avez fait de votre mieux. Vous avez suivi les conseils que l’on vous a donné, puis avez arrêté de les suivre. Vous avez coaché votre ado, puis l’avez laisser faire. Vous vous êtes fait aider, puis vous êtes écouté, allant parfois à l’encontre de ce qui était « préconisé ». Vous avez essuyé des tempêtes, des orages et des temps brumeux, avec l’espoir d’une éclaircie. Et puis il y a eu cet été, avec ses éclaircies, ses moments de rires, de lâcher-prise et de pleine conscience. Mais avec la rentrée qui arrive, le temps présent nous a glissé des mains… On se met à penser au lendemain et au surlendemain. Et on se dit « Et si…? »
Avant de poursuivre, quelques mots sur moi… Je suis une toute jeune maman. Je n’ai donc jamais vécu ce dont vous souffrez aujourd’hui. J’ai pâti de l’école, tout au long de ma scolarité. Mais j’ai tenu. Ce qui n’était pas le cas d’un membre de ma famille, qui s’est découragé, trop tôt, face à l’ampleur de la mission que représente l’ « adaptation ». Je suis pédopsychiatre, aussi. Et, au delà de mon expertise, ce sont les rencontres de parents et d’ados souffrant de phobie scolaire, qui ont touché ma sensibilité. Avant de vous écrire, j’ai essayé de me mettre à votre place. À votre place de parent qui se « prépare » à la rentrée de leurs enfants. La première chose que j’ai ressentie, c’est l’espoir. Un très grand espoir. La deuxième…la peur. Une très grande peur.
Certains d’entre vous ont déjà tout essayer, d’autres en sont au premiers recours. Certains tentent des choses totalement nouvelles (je pense à cette école exclusivement en ligne), d’autres persévèrent. Mais ce qui vous rassemble tous, c’est l’incertitude. L’incertitude d’avoir bien fait, l’incertitude que les choses se passent bien, etc. Le DOUTE, en somme. Et le doute, c’est comme le stress. Ça peut être aussi bon que mauvais. Le « mauvais » doute est un doute « rigidifié », qui a perdu de sa spontanéité et s’est transformé en pseudo-certitude. Et là, c’est super insidieux. Car le point d’interrogation qui caractérise le doute se transforme en point final. Pourquoi c’est terrible ? Parce qu’on réduit le champ de vision, les champ des possibles, et on perd le contact avec ses émotions. Déconnecté des émotions, le doute stagne, s’empêtre, s’infiltre dans notre esprit. Et entretient le cercle vicieux duquel on cherche à sortir.
Vous imaginez certainement, en cet instant, que je vais m’apprêter à vous dire : acceptez vos émotions ! Lâcher-prise ! Et alors… je vous perdrai en route. Car des conseils sur le lâcher-prise vous en avez lu et entendu de la part de tout le monde, des proches, des médias, des soignants. Certains ont probablement la nausée de s’entendre dire : « Tu en fais trop, repose-toi…LÂCHE-PRISE ». (smiley grognon). Bref, les injonctions paradoxales, vous en avez ras-la-casquette, et je vous comprends !
Alors, non… Je ne vous dis pas de lâcher-prise, de faire confiance à votre ado, ou autre chose encore. La confiance ça ne se force pas. Accepter ses émotions, non plus, surtout lorsqu’on a été traumatisé. Traumatisé ? Oui, c’est bien le mot que je souhaite employer. Et c’est bien de vous, parents, dont je parle. Votre enfant, s’il est phobique, c’est qu’il a été, brutalement ou de manière chronique (stress, harcèlement, micro-traumas répétés, etc.) traumatisé à l’école. Mais vous ? Je m’explique…
Nombreux parmi vous êtes profondément sensibles (je veux dire = plus que la moyenne des gens), à la souffrance des autres, et, SURTOUT, à la souffrance de vos enfants. La souffrance de votre enfant, vous l’avez vécu, par procuration. Dans notre jargon, on appelle ça le trauma vicariant. C’est le trauma de l’aidant, de celui qui soigne et/ou vit avec. Votre enfant souffre de manière chronique, et vous aussi. Et c’est bien cela qui complique la donne. Surtout lorsqu’on nous assène : « ne te focalise pas trop sur lui/elle, cela lui met la pression ! ». Ce que ces personnes ne comprennent pas, c’est que l’on souffre soi-même. Cette souffrance s’est ancrée dans nos neurones. Et parce qu’elle est invisible, on n’a pas de prise sur cette dernière. Alors elle reste là, bien rigide, sur le qui vive, à attendre qu’une autre mauvaise nouvelle survienne. Et à exploser, parfois, sous forme de larmes, de cris ou de maux physiques. Elle est là, donc, cette fameuse boule au ventre. Bien sûr que votre enfant la ressent. Peut-être même que cela lui met la pression. Mais c’est comme ça. On souffre ensemble, on stresse ensemble. Bref, on se soutient, grâce à ce sublime défaut, qui fait notre vulnérabilité : l’empathie.
Je pourrais m’arrêter là, sur cette note positive. Mais j’aurais l’impression d’oublier quelque chose. Dans ma lettre, s’est glissé le mot traumatisme. Et un trauma ça ne se soigne pas comme ça, d’un coup de pensée positive, ou après 2-3 séances de yoga. Un trauma, ça se soigne avec le temps, avec les gens qu’on aime, avec des thérapies ET avec des expériences nouvelles qui se répètent. Un peu comme les saisons, qui reviennent année après année. Un peu comme la rentrée. Ça se répète mais ça n’est jamais pareil. Mais quand on a souffert, c’est un peu différent. Notre esprit nous laisse penser que les choses vont se répéter. On s’accroche à ses idées et on se laisse avoir par nous-mêmes. Pire, on a l’impression de revivre des choses du passé. Et pourtant… il y a une certitude dont je me permettrai ici : la rentrée ne sera pas comme la précédente. Les choses que l’on maîtrise seront probablement maîtrisées. Le reste sera une surprise. Une surprise collective. Car la bonne nouvelle dans tout ça, c’est que vous n’êtes pas seuls. Il y a vos proches, certes, mais il y a aussi les autres parents. Il ne faut pas avoir peur de la souffrance collective. Tout comme il ne faut pas avoir peur du mauvais temps, ou des musiques tristes. C’est justement l’écho émotionnel qui nous rend moins rigides, plus malléables. Vous être si nombreux à agir dans le doute, et à douter dans l’action. Avec cette question que vous vous posez tous : que faire ? J’aimerais répondre : Rien. Car vous en avez déjà tant fait. Mais je sais que la vie ne s’arrête pas, et les efforts non plus. J’ai lu un livre il y a peu de temps. Il disait que l’enthousiasme rendait l’effort surmontable, voire stimulant, un peu comme une force qui s’auto-entretient de manière exponentielle. J’ai envie de croire que ce soit possible, en avançant avec ce qu’on est, et ce qu’on a vécu. Quelqu’un qui a souffert et qui, aujourd’hui, tâtonne. Tâtonnons ensemble, ce sera moins dur. Et peut-être même qu’on en sortira plus fort et (allez, soyons fous) plus épanouis ! Cette rentrée est la notre. Allons-y !
* Tous enthousiastes par André Stern, Éditions Horay
L’Association Phobie Scolaire (APS) remercie chaleureusement Dr Ada Picard.