LA PHOBIE SCOLAIRE : Un symptôme polymorphe, multifactoriel, sans cause et prise en charge unique

Les études sont rares et proviennent souvent d’Outre Atlantique. Visées sous le titre de « Phobie Scolaire » ou « Refus scolaire anxieux », elles pointent un phénomène complexe, d’autant plus dur à définir et à quantifier qu’il est bien souvent multi factoriel et polymorphe.

 Pas toujours évident à déceler et à comprendre aux premiers signes désignés, on parle également, avant l’impossibilité de se rendre à l’école, de « troubles anxieux scolaires », comme premières manifestations de la phobie scolaire.

Le débat sur la terminologie peut sembler anodin. Il est pourtant au cœur de la problématique pour une compréhension rapide et d’une prise en charge précoce afin d’éviter à l’enfant le burn out et le glissement vers des pathologies et des manifestations plus lourdes.

25% D’ENFANTS CONCERNES PAR LES TROUBLES SCOLAIRES ANXIEUX AU COURS DE LEUR SCOLARITE

On parle aujourd’hui de 1% à 3% d’enfants ou d’adolescents atteints de phobie scolaire. Mais, de manière plus large, une étude américaine a montré que 25% des élèves seraient un jour touchés, de manière plus ou moins forte et durable, par des épisodes de troubles anxieux scolaires au cours de leur scolarité.

Ada Picard, pédopsychiatre à Marseille, dans une interview au journal « Sud-Ouest » expliquait parfaitement cette variété de manifestations qui rend parfois le diagnostic compliqué et la prise en charge trop tardive :

« C’est très variable, déjà en fonction de l’âge et de la personnalité. Chez les petits, ce seront plus des manifestations somatiques, comme des maux de ventre, la boule au ventre qui revient souvent. Ça peut être aussi une phobie spécifique, comme la phobie de vomir à l’école, la phobie d’aller aux toilettes à l’école, des choses très focalisées mais qui sont le symptôme d’un problème plus large, qui touche l’école dans son ensemble. Ce n’est pas forcément exprimé comme une phobie scolaire. Parfois, elle est plus évidente avec un refus de se rendre à l’école, une résistance à se préparer le matin, ou des larmes qui pointent à l’entrée de la cour. […] On peut parfois parler de burn out qui peut aggraver, déclencher ou révéler une phobie scolaire »

Elodie Antoni, Psychologue chez Cogitoz, dans un billet publié en novembre 2019, a également su parfaitement mettre en exergue cette variété de situations et de manifestations souvent mal perçues et comprises.

 « Si l’on met de côté la froideur des chiffres, la phobie scolaire, c’est Emma, qui chaque veille d’école s’endort en larmes, et ne trouve parfois le sommeil qu’au petit matin. C’est Théo, atteint de crises de vomissements chaque matin avant de se rendre en cours. C’est Julie, qui se scarifie régulièrement, ne trouvant le répit que pendant les grandes vacances. C’est Mathis, qui souffre de douloureuses migraines ne se déclenchant qu’en milieu scolaire. Et c’est même Clara, qui a tenté de mettre fin à ses jours… »

« UNE SOURCE DE SOUFFRANCE QUI DÉPASSE SES RESSOURCES » : L’ENFANT VEUT Y ALLER PLUS QUE TOUT MAIS NE PEUT PAS !

De ces exemples, la psychologue tire une définition générale d’un mal-être réel aux causes variées et multiples :

« La phobie scolaire, pour un enfant ou un adolescent, est une situation dans laquelle l’école devient une source de souffrance qui dépasse ses ressources. Cela se traduit par une difficulté majeure ou une impossibilité régulière à y aller, à caractère anxieux, avec somatisations fréquentes – y compris dans des cas où l’enfant concerné a sincèrement envie de s’y rendre et fait tous les efforts possibles en ce sens, mais bien souvent ces efforts sont voués à l’échec face à l’ampleur de l’anxiété.

La phobie scolaire est-elle une pathologie en soi, ou est-elle un symptôme ? Ce débat n’est pas tranché, d’autant que les mécanismes à l’œuvre dans les troubles anxieux scolaires sont très variables d’un enfant à l’autre. De plus, au cœur de la phobie, l’enfant ou l’adolescent est pris dans une telle tempête émotionnelle, qu’il est, la plupart du temps, incapable d’exprimer son vécu et ses sensations. Ce n’est bien souvent qu’avec le temps et un certain recul, que l’on parvient à démêler l’écheveau des causes. Car si la phobie scolaire est souvent causée par la conjonction de deux ou trois facteurs différents, l’étendue des facteurs possibles donne une idée de la variété des phobies scolaires. »

Elle pointe ainsi du doigt, entre autres, comme causes possibles et bien souvent cumulatives, les situations de harcèlement, les troubles des apprentissages et/ou de l’attention « mal gérés », l’ennui massif chez les enfants à haut potentiel, une estime de soi dégradée ou une anxiété de performance massive pouvant conduire à des troubles anxieux généralisés ou un état dépressif, d’autres problématiques psychologiques parfois plus importantes…

« Quelle que soit la cause à l’œuvre, on repère généralement dans la phobie scolaire des mécanismes neurologiques qui se rapprochent du stress post-traumatique : le cerveau devient noyé de manière quasi-chronique sous les hormones de stress »

Au-delà de la variété des causes, des manifestations et du niveau de gravité, ce qui ressort c’est que dans tous les cas, la phobie scolaire n’est pas un caprice ou un simple passage à vide que l’enfant peut surmonter moyennant quelques efforts, comme le souligne Ada Picard

« Il faut être attentif à la notion de souffrance. S’il y a une souffrance, ce n’est pas un caprice. Si c’est exprimé, c’est qu’il y a quand même quelque chose. […] Parfois même, la souffrance scolaire est invisible avec un enfant qui se donne beaucoup pour s’adapter au mieux aussi bien socialement que scolairement parlant. C’est pourquoi, il faut être vigilant. »

Plus ils sont pris et reconnus tôt, moins les troubles anxieux scolaires seront longs à soigner. Mais seul un partenariat entre la famille, les équipes éducatives et les thérapeutes, avec un accompagnement et un investissement conjoint dans les trois sphères de vie de l’enfant (foyer, école, soins), autour de son bien-être et de ses besoins, permettra l’apaisement de l’enfant. Le dialogue sera d’autant simple et constructif que la souffrance et les besoins ont été identifiés tôt. La pause scolaire ou la scolarisation par d’autres voies seront parfois incontournables et nécessaires dans le processus de guérison et de reconstruction de l’enfant.  


DES SOLUTIONS ET DES PRISES EN CHARGE VARIEES SELON LES ENFANTS ET LES SITUATIONS


« SORTIR DE LA PHOBIE SCOLAIRE PEUT PRENDRE DU TEMPS » ET LE PREMIER PAS A FRANCHIR EST D’ACCEPTER QUE SON ENFANT NE SOIT PLUS SCOLARISE, AU MOINS PENDANT UN TEMPS


Le Docteur Laelia Benoit, sociologue, chercheuse à l’INSERM et pédopsychiatre à La Maison de Solenn, insiste sur le fait que « sortir de la phobie scolaire peut prendre du temps » et que le premier pas à franchir est sans doute d’accepter que son enfant ne soit plus scolarisé, au moins pendant un temps.

« Il faut d’abord retrouver confiance en soi, et ensuite reprendre le chemin de l’école par de petites étapes, en se fixant de petits défis réalisables. Une des clés est de ne pas reprendre tout de suite à 100% mais pas à pas »

« Chaque enfant est différent. Plusieurs solutions existent selon les parcours : revenir quelques heures au collège, privilégier les cours à domicile, ou mettre en place un dispositif dans un établissement permettant un parcours soins-études »

Le fil rouge à suivre est donc clair : offrir à l’enfant les moyens, le temps et la souplesse nécessaires à sa reconstruction et à son apaisement, s’adapter à son rythme sans vouloir lui imposer le nôtre ou celui des établissements, faire de l’enfant une priorité avant l’élève.

La compréhension et la bienveillance, dénuées de tout jugement, tant au niveau de la famille, des établissements scolaires et des thérapeutes, sont au cœur du processus de guérison. Le dialogue de ces trois entités autour des besoins et de l’accompagnement de l’enfant, notamment au moment de la reprise en milieu scolaire, est le seul gage d’un retour progressif à une scolarité normale.

Mais il faut aussi parfois savoir accepter que certains, pour leur bien-être et leur épanouissement, ne suivront peut-être plus le chemin classique, habituellement tracé pour tous et ancré dans presque tous les esprits avec cette « culture de l’école » à la française dont parle Laelia Benoit. « On sait que les élèves français sont parmi les plus anxieux du monde. La Phobie scolaire interroge notre rapport à l’école ».

L’enjeu est donc bien, pour tous les acteurs, de penser à l’enfant avant l’élève et de remettre l’enfant et son bien être au cœur de la réflexion avec toute l’écoute et la bienveillance qui s’imposent.