Il y a une vie après la phobie scolaire …
(nouvelle rubrique, en construction)
Laurent V. 39 ans, en phobie scolaire de ses 8 ans à ses 18 ans Lire la suite
Entretien du 28/10/2024 avec Laurent V. 39 ans
Pouvez-vous vous présenter rapidement ?
Je suis Laurent V., j’ai 39 ans. Je suis autoentrepreneur, dans la vente de jouets d’occasion. J’habite en Eure et Loir.
Pouvez-vous me décrire votre parcours de phobique scolaire ?
C’était suite à un choc. Mon papa a eu une maladie lorsque j’avais sept ans. Il a eu un cancer de la gorge. Je l’ai vu avec cette maladie, mais ce n’était pas possible pour moi d’envisager qu’il décède. Un matin, il s’est écroulé devant moi en train d’étouffer. J’avais huit ans. Il est mort devant moi. Tout s’est enchaîné très vite. Les pompiers sont arrivés. On m’a vite écarté. Un pompier est venu me voir pour me dire que c’était fini. Du haut de mes huit ans, j’ai alors compris que cela voulait dire « c’est bon, il est guéri ». Mais ma maman m’a expliqué ensuite que je ne reverrais plus mon papa. Elle a voulu me remettre dans le bain directement à l’école, en faisant comme si la vie continuait. Mais dès le lendemain, il m’a été impossible de retourner à l’école.
La phobie scolaire n’était pas connue à l’époque. Mon médecin avait décrété que je faisais de la comédie. Cela se traduisait par des vomissements le matin, des tremblements, des crises, des larmes, des crises de nerfs. Et je ne pouvais plus passer le portail d’une école, quelle que soit l’école.
J’ai cependant réussi à faire ma scolarité, primaire puis collège. Mais j’allais peut-être un mois dans l’année tout au plus au collège. La direction et les enseignants ne comprenaient pas. Ma mère avait des problèmes car on ne comprenait pas pourquoi son fils n’allait pas à l’école.
Je travaillais à la maison. Ma vie était devenu hors de toute socialisation. J’étais dans mon coin, devant la télévision. J’étais vraiment tout seul. Je n’étais bien que devant la télévision à ne plus bouger. Je me suis complètement isolé. Je suis allé jusqu’en classe de troisième comme cela, en allant quelque fois à l’école. J’ai réussi à passer mon brevet au collège.
Après, j’ai enchaîné sur un BEP vente car il fallait choisir quelque chose. Mais je savais très bien que ça n’irait pas. En allant au lycée, c’était aussi catastrophique qu’au collège. Rien que franchir le portail d’un lycée était très compliqué. C’était toujours les mêmes crises, même si c’était un peu réduit car j’avais mûri. Du coup, on est passé par le CNED (centre national d’enseignement à distance). Mais le CNED nécessite de travailler de façon ardue à la maison. Comme je m’isolais, ce n’était pas facile. J’ai réussi à avoir mon BEP vente de cette façon, mais c’est resté très dur jusqu’à la fin.
J’ai commencé à travailler avec l’apprentissage du BEP vente. Par contre au travail, cela se passait très bien. Je m’investissais beaucoup dans le travail, mais jamais dans les études. Je ne me l’explique pas.
J’ai eu le même médecin depuis mes huit ans. Lorsque j’ai eu environ 18 ans, il s’est excusé en me disant qu’il n’avait pas vu et qu’il ne connaissait pas alors la phobie scolaire. Il s’est formé depuis. Il avait une position importante dans le département et il m’a dit que s’il avait su, il aurait tenté de créer un pôle autour de la phobie scolaire. Personne ne pensait, lorsque j’étais enfant, que je souffrais de phobie scolaire. Même moi, je ne le savais pas. On n’en parlait pas. Les gens pensaient que c’était de la fainéantise. Je sentais bien que je n’allais pas, je ressentais un mal-être mais personne ne voulait me croire. Je me suis donc vraiment isolé.
Et à mes 18 ans, je suis parti. J’ai décidé de partir et d’aller travailler dans le Sud de la France. C’est là que j’ai eu l’impression de vivre et à ne plus penser à tout cela. Il fallait que je vois autre chose. J’ai commencé à travailler, à avoir mon appartement là-bas.
Ma phobie sociale, qui était associé à ma phobie scolaire, n’a pas complètement disparue depuis. Je ne peux pas dire que je suis complètement guéri. J’ai beaucoup évolué dans mon travail. J’ai commencé en tant qu’employé commercial de base. J’ai monté les étapes, je suis devenu manager, et ensuite j’ai été gérant d’une supérette. Et maintenant, je suis autoentrepreneur, j’ai ma propre boutique en ligne. Mais au niveau social, j’ai toujours eu un peu de mal, même si je me forçais beaucoup. Et même maintenant, je me sens différent des autres. J’ai vu beaucoup de psy, mais j’ai du mal avec eux car ils ne m’ont pas aidé. J’ai un gros manque d’émotions. J’ai beaucoup de mal à ressentir de la tristesse. La mort d’une personne ne me fait pas peur.
Franchement, je ne travaillais pas beaucoup lorsque j’étais en âge scolaire. J’avais beaucoup de mal, même avec le CNED. C’est juste que j’avais des facilités. J’ai une sœur qui a fait de longues études. Elle m’aidait. Mes facilités et le soutien de ma sœur m’ont aidé à avoir mon brevet et mon BEP vente, sinon je m’écroulais.
Lorsque j’étais en classe, je n’ai pas rencontré d’enseignant à l’écoute, ouvert sur ma situation. À l’époque, c’était plus des problèmes, des convocations, des critiques. Aucun des adultes autour de moi, parents, médecins ou enseignants, ne me comprenaient. C’était pris comme de la comédie, j’étais quelqu’un qui ne voulait pas du tout aller à l’école, qui voulait rester à la maison et qui allait se faire vomir le matin. J’ai vécu 10 ans dans la non compréhension par les autres de ce que je vivais … mais ça fait avancer !
Ma maman a eu des problèmes avec l’administration de l’école. On a reçu des courriers. C’était surtout au collège. La directrice avait fait des signalements. L’inspection avait appelé. Je n’ai pas tout suivi car ma mère me cachait certaines choses. Mais je sais qu’elle a été très très embêtée. Elle travaillait seule à côté pour subvenir à nos besoins, mais il est certain que ça a été très compliqué pour elle.
Avec la distance que vous avez aujourd’hui, qu’est-ce qui a été le plus difficile dans ce parcours ?
Ce qui a été difficile, c’est le manque d’écoute et le fait qu’on ne me croyait pas, que même les médecins ne me croyaient pas. A l’époque, sans doute car il y avait moins de psychologues scolaires, ça a été très compliqué. La phobie scolaire n’était pas connue. Les adultes ne pouvaient sans doute pas imaginer ce que je vivais. Même moi, dans ma tête, je pensais que j’étais fou, que j’étais à part, complètement à part. Je me comparais aux autres enfants et me disais : je n’arrive pas à être comme eux, à m’amuser comme eux, à sourire lorsque je suis à l’école. J’étais malade tout le temps, ça se traduisait toujours par des vomissements, des maux de ventre, … je ne comprenais pas comment faisaient les autres.
Avec la distance que vous avez aujourd’hui, qu’est-ce qui vous a le plus aidé à « survivre » pendant la période de phobie scolaire puis à vous en sortir ?
Franchement, mes années ont été très compliquées de mes 8 ans jusqu’à ce que je parte à mes 18 ans. Je n’avais pas de moments positifs. Ça été très très dur car on ne me laissait pas faire ce que je voulais. Il a fallu attendre que je parte à 18 ans pour me rendre compte qu’il y avait une vie derrière, qu’il n’y avait pas que les études. Le travail me donnait une liberté que je n’avais pas avec les études. J’étais épanoui dans mon travail.
Diriez-vous que vous gardez des traces de votre phobie scolaire ? En douloureux ou en positif ?
En positif, la seule trace que je garde pour parler ainsi c’est que je relativise tout maintenant. Je ne me plains jamais. J’avance.
En négatif, j’en garde aussi des traces. Par exemple, je me sens différent dans les interactions sociales. Je vais plus m’isoler. Ou alors avec certains amis avec qui je me sens bien, au contraire, je vais être plus extraverti. Mais je garde toujours une méfiance, je n’arrive pas à être complètement moi. Je me sens complètement sans émotions par rapport à eux.
Quel message aimeriez vous transmettre à des enfants ou jeunes actuellement en phobie scolaire ?
Il ne faut pas hésiter à en parler, ne pas avoir peur d’en parler. Mais c’est surtout un message aux parents que je souhaite faire passer.
Quel message aimeriez vous transmettre à leurs parents ?
Ce qui peut aider déjà, c’est l’écoute maintenant qu’on connait cette phobie scolaire. Écouter les enfants qui en souffrent et faire autre chose à côté. Il faut parler aussi d’autre chose que l’école, proposer des interactions sociales hors de l’école, écouter ce que l’enfant a envie de faire. Si l’enfant dit qu’il a envie de faire du judo, du foot ou tout autre choses, il ne faut pas lui dire non puisque tu ne vas pas à l’école. J’ai connu cela. On m’interdisait beaucoup de choses car je n’allais pas à l’école. On me disait : « pourquoi t’autoriserait-on à faire cela si tu ne fais pas d’effort de ton côté ? » J’étais celui qui n’apportait que des soucis. J’ai pu faire du sport par la suite, des sports de combat.
Il est important d’être à l’écoute, de partager des choses avec ses enfants. Il ne faut pas parler que des études. Certes, c’est important mais il faut aussi passer par des choses qui plaisent aux enfants, les loisirs, les sorties … Il ne faut pas les punir d’autre chose s’il ne vont pas à l’école le matin. Ils ne le font pas exprès. Il faut arriver à ce qu’ils aient toujours une interaction sociale, un lien et que ce soit sur leur demande. Il y a sûrement une chose qui les intéresse et qu’il faut développer, qui va leur permettre de s’épanouir.